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Les Ouvreuses : un pas vers la démocratisation de l’ouverture au féminin
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Publiée le 3 octobre 2025
Tournefeuille, dimanche 14 septembre. Un mur de bloc, huit femmes, un lot de prises, trois jours de travail, et une première en Occitanie : un contest d’escalade entièrement ouvert par des femmes. Un évènement qui marque un tournant symbolique dans un milieu encore très masculin.
Derrière l’initiative, Léna Grospiron, adhérente du Tournefeuille Altitude Grimpe et compétitrice de longue date. Son objectif est clair : « Pouvoir donner de la place à des femmes ouvreuses de la région ». Mais l’ambition va plus loin : normaliser la présence des femmes dans un milieu où elles restent trop peu visibles, et ouvrir des perspectives : « Leur permettre de se rencontrer, de former un réseau local, de pouvoir s’exprimer dans un environnement différent et d’apprendre les unes des autres ». L’inclusivité est également au cœur du projet. « Les catégories binaires en compétitions excluent bien souvent tout un ensemble de personnes. Le but était de permettre à celles et ceux qui n’osaient pas ou ne pouvaient pas jusque-là de découvrir la compétition dans un cadre amical et bienveillant ».
Pour concrétiser cette idée, toute une organisation s’est mise en place : une équipe d’ouvreuses, composée de 4 professionnelles et de 4 bénévoles, s’est mobilisée pendant trois jours. Fleur Bonnemaison, sociologue du sport, est venue enrichir la réflexion autour de la place des femmes dans l’ouverture en escalade.
Aux commandes de l’ouverture : Ninon Lacour et Clémentine Lasserre, cheffes ouvreuses, accompagnées de Manon Coueste, Anouk Buffet côté professionnelles, et Louise Jeanneau, Emilie Boissay, Juliette Cornet et Ludivine Balbi côté bénévoles.
Elles nous emmènent dans les coulisses de cette première expérience 100% féminine.
De la découverte pour toutes
Pour certaines, l’évènement constituait une première plongée dans l’univers de l’ouverture. Emilie, qui n’avait que rarement eu l’occasion d’ouvrir auparavant, raconte : « Je me mettais beaucoup de pression, j’étais la seule à ne pas avoir autant d’expérience que les autres. On va dire que le principal défi, c’était moi-même. »
Pour d’autres, plus expérimentées, le contest représentait l’opportunité de progresser : « C’était une super occasion pour pouvoir progresser, et ouvrir dans de vraies conditions », souligne Louise. Manon, elle, a découvert le rôle de transmission : « J’ai beaucoup apprécié pouvoir transmettre aux ouvreuses novices qui étaient avec nous. »
Malgré des parcours différents, toutes partageaient une expérience semblable : c’était la première fois qu’elles ouvraient…avec des femmes. Anouk, qui avait déjà ouvert de nombreuses fois sur des compétitions, le fait ressortir : “À chaque fois, j’étais la seule fille”.
Un espace d’entraide
Durant ces trois jours, la salle a résonné du bruit des visseuses et d’une playlist en fond sonore. Mais au-delà de l’aspect technique, c’est une véritable entraide qui s’est construite au sein de l’équipe. Chacune a pu trouver sa place, qu’elle soit professionnelle ou bénévole.
« On s’entraidait si on avait un problème pour monter un volume, ou une prise » explique Ludivine.
« On a ri, on s’est fait des nœuds au cerveau, on a partagé nos expériences et on a bien forcé » se souvient Anouk.
Toutes décrivent un climat bienveillant : « C’était calme, doux. Personne ne prenait trop de place. Il n’y avait pas ce côté de comparaison entre nous, parce qu’il n’y avait rien à prouver » confie Ninon.
Clémentine complète : « quand t’es entre filles, il y a un truc un peu naturel où on se laisse tous une place, une possibilité d’être ce qu’on est ».
Et Juliette insiste sur la force de ce collectif : « Ça donne de la force d’être entouré de filles qui cherchent à prendre leur place dans ce monde où il y a beaucoup d’hommes ».
En filigrane, le sentiment partagé est clair : « le principal point de différence est le fait d’avoir moins l’impression de devoir prouver ses compétences et sa légitimité à être là. Ce qui fait qu’on a moins peur de se tromper. J’ai eu l’impression d’être poussée vers le haut pendant ces trois jours », conclut Louise.
Un défi haut en couleur
Pour Clémentine et Ninon, le défi était d’autant plus grand puisque c’était leur première fois en tant que cheffes ouvreuses. Elles se partageaient le rôle, et ainsi les responsabilités. “J’étais cheffe avec Ninon, le défi c’est qu’il fallait que ça marche et qu’on trouve le juste milieu entre imposer, mais aussi laisser de la place aux filles pour qu’elles puissent s’exprimer”. L’expérience fut plus qu’enrichissante pour elles, elles se sont exercées à la gestion d’équipe mais elles ont aussi touché à l’organisation d’un contest. “Ca a été très intéressant de pouvoir réunir des femmes entre elles et leur permettre de réaliser un projet avec un aboutissement, donc une petite compétition, seules entre elles” nous raconte Ninon.
Cette réussite ne fut pas sans défi, ces trois jours ont été intenses physiquement. Clémentine nous en fait part : “mon défi, c’était de rester opérationnel tout le long de la semaine”. Emilie ajoute : “c’était dur physiquement de tester tous ces blocs”.
Un contest réussi
Après trois jours intenses d’ouverture, les huit ouvreuses ont vu le fruit de leur travail se concrétiser dans un contest ouvert de 9 à 99 ans, qui a rassemblé 80 compétiteur.trices, dont 61 femmes.
Ce fut une compétition réussie : Léna nous confie “on a eu de bons retours, et je crois que tout le monde s’est fait plaisir que ce soit du côté des ouvreuses ou des compétiteur.ices.” Mais au delà du contest, les ouvreuses ont relevé leur défi d’ouvrir des circuits pour toutes les catégories, dans les temps, tout en échangeant leur savoir. Louise nous partage ”J’ai énormément appris et progressé pendant ces trois jours. Les pros de l’évènement nous ont beaucoup conseillés et accompagné tout en nous faisant confiance et en nous valorisant”.
L’événement a permis de démontrer qu’une équipe 100% féminine ne changeait pas le produit final. Ninon ajoute “c’est une espèce de fierté quand l’événement a lieu et qu’on voit que ça fonctionne” . Elles ont été particulièrement attentives à l’adaptation des blocs aux morphologies, et cela s’est ressenti. « Un moment fort, je dirais que c’est au moment où on a vu les résultats chez les U11 ou les U13, et que c’est un garçon qui a gagné, qui était plus petit que les deux autres. On s’est dit que c’était cool parce que les blocs étaient adaptés à leur taille », raconte Ludivine.
Grace à un partenariat avec Friction Dealer (un grand merci à Marion), elles ont pu donner le meilleur d’elles-mêmes avec du matériel de grande qualité. Ce partenariat fait l’unanimité chez les ouvreuses : “quand j’ai ouvert avec les prises distribuées par Friction Dealer, c’était incroyable d’ouvrir avec des prises de ouf “ explique Juliette. ”On a été super bien accueillies et mises dans des excellentes conditions pour travailler” souligne Louise. Elle ajoute : “il y avait beaucoup de super prises avec lesquelles les ouvreuses n’ont pas l’habitude d’ouvrir, c’était une chance !”.
Résultats : https://www.tag.asso.fr/Animation/ChallengeBloc/_CBValidation/CBClassement.php?Vue=SéniorsF
Et ensuite ?
D’autres clubs et salles privées ont déjà soumis l’idée d’organiser d’autres événements de ce type. Les événement 100% féminins devraient, à terme, contribuer à faire évoluer les mentalités et à renforcer la représentativité des femmes dans ce métier encore trop perçu comme “masculin”.
“On vient de montrer qu’elles étaient nombreuses dans la région à ouvrir, à pouvoir réaliser tous styles de blocs et de toutes difficultés, et capable de faire cheffes ouvreuses également, donc il n’y a plus d’excuse pour ne pas en voir dans les prochaines équipes d’ouverture ! ” souligne Léna.
Pour certaines, l’évènement leur a donné envie d’aller plus loin, de se former, de faire des stages : “Ca m‘a donné envie de continuer dans cette voie, de valider mon diplôme de chef ouvreuse en faisant d’autres stages”, confie Ninon. Même Léna, qui pilotait l’événement, se laisse tenter par l’idée de franchir le pas. “En voyant les ouvreuses travailler cela m’a vraiment donné envie de participer également, surtout dans un tel cadre ! Si une autre édition pouvait se faire, il n’est pas impossible que j’ose passer du côté de la visseuse cette fois.”
Plus largement, elle y voit une source d’inspiration pour d’autres. « Voir que davantage de femmes s’impliquent dans l’ouverture peut donner des idées à d’autres, et leur permettre de se lancer également. Il peut y avoir moins d’appréhension également à savoir que l’on ne sera pas la seule ouvreuse dans une équipe, surtout lorsqu’on débute dans le domaine. »
Le souhait collectif est d’ouvrir la voie vers la mixité des équipes d’ouverture. Comme le dit Léna : “qu’à terme ce soit beaucoup plus normalisé de voir des femmes ouvrir “. Un constat renforcé par Ninon : “je pense que c’est important qu’il y ait des chefs ouvreuses ; je pense qu’une femme par-ci par là, ça ne résout pas le problème”.
Un grand merci aux ouvreuses et à Léna Grospiron pour leurs témoignages.
Pour un autre point de vue : lisez l’article rédigé par Lola Sautier, membre du Pôle Espoir Escalade de Toulouse : https://alpinemag.fr/escalade-premiere-competition-exclusivement-feminine-toulouse/